Édouard Baldus, entre ombre et lumière

Édouard Baldus, Autoportrait, épreuve sur papier salé, vers 1853. Cliché Wikimedia

Parmi les nouveautés mises en ligne sur la bibliothèque numérique figure un recueil d’Édouard Baldus (1813-1889), célèbre photographe du Second Empire. Cependant il ne s’agit pas d’épreuves photographiques mais de gravures, plus précisément d’héliogravures ; l’occasion de revenir sur ce pan un peu moins connu de sa carrière.

Originaire de Prusse, Édouard Baldus, alors âgé d’une vingtaine d’années, fuit sa terre natale. Il arrive en France en 1838 avant d’être naturalisé français à 43 ans. Peintre de formation, il expose à plusieurs reprises au Salon. Le succès se faisant attendre, il se tourne rapidement vers la photographie lorsque le calotype, procédé de tirage papier à partir de négatif, est mis au point par l’Anglais William Henry Fox Talbot (1800-1877) puis perfectionné par les Français Louis-Désiré Blanquart-Evrard (en 1847) et Gustave Le Gray (en 1851).

L’œuvre photographique de Baldus, presque exclusivement consacré à l’architecture et au paysage, est marqué par les nombreuses commandes officielles qui font de lui l’un des photographes préférés de Napoléon III (1808-1873). Il devient le témoin de son époque et de la manière dont l’ingénierie moderne transforme les territoires par le biais d’enquêtes photographiques sur la restauration de monuments ou les travaux ferroviaires. Il documente entre autres la reconstruction du Louvre et l'ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille. Aux côtés d’Hippolyte Bayard (1801-1887), Henri Le Secq (1818-1882), Gustave Le Gray (1820-1884) et O. Mestral (1812-1884), il participe à la Mission héliographique de 1851 commanditée par la Commission des Monuments historiques pour dresser l’inventaire des édifices les plus remarquables nécessitant restauration dans diverses régions de France.

Principalement connu pour ses épreuves argentiques, Édouard Baldus a pourtant consacré les vingt dernières années de sa vie à la gravure héliographique, procédé d'impression en creux permettant le transfert d'une image sur une plaque de cuivre ou d'acier grâce à une gélatine photosensible. De 1866 à 1884, l’artiste publie près d’un millier de planches dont sept albums. Le premier d’entre eux Recueil d'ornements d'après les maîtres les plus célèbres des XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles est publié en 1866, il rassemble cent reproductions de gravures d’Henri Aldegraver (1502-1555?), Hans-Sébald Béham (1500-1550?), René Boyvin (1525?-1626?), Théodore de Bry (1528-1598), Étienne Delaune (1518?-1583), Androuet Du Cerceau (1510?-1585?), Albrecht Dürer (1471-1528), Hans Holbein (1497?-1543), Jean Lepautre (1618-1682), Lucas de Leyde (1494-1533), Jean Marot (1625?-1679), Martin Schöngauer (1450?-1491), Virgile Solis (1514-1562), Énée Vico (1523-1567), Pierre Woeiriot (1532-1596?). Dans la foulée, en 1867, la direction des Beaux-arts lui passe commande de six mille photogravures d’ornements destinées à être distribuées aux écoles et institutions artistiques.

Édouard Baldus d’après Albrecht Dürer, [Le voile de Sainte Véronique porté par deux anges], Recueil d'ornements d'après les maîtres les plus célèbres des XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, héliogravure, 1869, Bibliothèque de l'INHA, FOL EST 12. Cliché INHA
Édouard Baldus d’après Albrecht Dürer, [Le voile de sainte Véronique porté par deux anges], Recueil d'ornements d'après les maîtres les plus célèbres des XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, héliogravure, 1869. Paris, bibliothèque de l'INHA, FOL EST 12. Cliché INHA

Technicien accompli, Baldus réalise lui-même ses plaques et également ses impressions à partir de 1870. Il pousse le procédé d’héliogravure à son raffinement le plus extrême : grande précision et finesse du trait, richesse des nuances, noirs veloutés et gris subtils, un savoir-faire incomparable lui permettant de faire ressortir les reliefs et les contrastes entre ombre et lumière. Mais Baldus garde secrets les détails de la technique qu’il emploie – après sa mort, le Nouveau Manuel complet du graveur en creux et en relief [...], décrira en 1924 les étapes de sa méthode. Il annonce en introduction de la réédition de 1869 du Recueil d’ornements d’après les maîtres les plus célèbres : « Je présente aux artistes et aux amateurs le résultat de longues et patientes recherches qui m’amenèrent à reproduire identiquement les anciennes gravures par mon procédé de photographie. Ce procédé fixe immédiatement le modèle sur cuivre et l’y incruste ; il permet ainsi d’en multiplier à l’infini des épreuves entièrement semblables aux gravures originales. J’appelle héliogravure ce résultat dont je suis l’inventeur ». Néanmoins il ne publie pas ses recherches, ne dépose pas de brevet, ni ne se présente au concours du duc de Luynes (1802-1867) qui récompense le meilleur procédé de reproduction photomécanique. L’artiste agit comme s’il ne souhaitait pas mettre trop en avant son talent exceptionnel, peut-être parce qu’il avait déjà découvert et mis en pratique cette habileté dans un passé peu avouable.

En effet, un mandat d’arrêt émis à Cologne en date du 16 février 1835, retrouvé en 2010 par l'historien local Peter Lindlein, révèle qu’un certain « Eduard Baldus, âge 21 ans ; taille 5 pieds 4 pouces ; religion catholique ; cheveux foncés ; front haut ; sourcils bruns... » est recherché pour fabrication et usage de fausse monnaie. Alors jeune soldat de 21 ans, il avait réussi la prouesse technique d’imiter le Kassenanweisungen, billet de banque mis en circulation en 1821 par la Prusse dans les provinces rhénanes... Des débuts de graveur « prometteur » qui expliquent sans doute les mystères qu’il prit soin d’entretenir sur sa personne et ses compétences.

 

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Élodie Desserle
Service de l'informatique documentaire

Publié par Elodie DESSERLE le 17 juin 2020 à 10:00

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