Les catalogues de vente de Jean-Baptiste-Pierre Le BrunÀ la découverte de l'époux d'Élisabeth Vigée-Le Brun

Vue d'ensemble de la collection des catalogues Le Brun, bibliothèque de l'INHA, VP RES 1B-VP RES 22 B. Cliché Claire Josserand

Publié à l'occasion de la récente exposition consacrée à Élisabeth Vigée-Le Brun, ce billet reprend un article écrit par Claire Josserand, paru dans les Nouvelles de l'INHA en 2010.

Riche de plus de 150 000 titres, la bibliothèque de l’INHA conserve la première collection française de catalogues de vente d'œuvres d'art. Parmi ceux-ci, les catalogues du XVIIIe siècle sont nombreux : coté VP RES 1 B à VP RES 22 B, l’ensemble des vingt-deux recueils provenant du marchand Jean-Baptiste-Pierre Le Brun (1748-1813) en constitue l’un des fleurons. Époux d'Élisabeth Vigée, dont il contribua au succès, il était aussi un important marchand de tableaux, dont les catalogues conservés à l'INHA permettent de retracer la carrière et le rôle.

Ces catalogues ont été numérisés et sont disponibles sur le site de la bibliothèque numérique de l'INHA.

Une collection exceptionnelle

Ces vingt-deux recueils ont été acquis par Jacques Doucet lors de la vente de la bibliothèque du baron Jérôme Pichon(1812-1896), président de la Société des bibliophiles, en 1897 à Paris. Sous le lot 2 443, apparaît la description de ces ouvrages richement reliés : « collection complète des catalogues de tableaux, dessins, estampes et autres curiosités, manuscrits et imprimés avec les prix et les noms des acquéreurs, enrichis de notes curieuses rassemblées et mises en ordre depuis leur origine en 1763 jusqu’en l’année 1811 inclusivement, par J. B. P. Le Brun, peintre et marchand de tableaux, 22 vol. in-8, mar. rouge, fil., dos ornés, tr. dor. ».

Comme l’indique cette notice, il s’agit d’un ensemble unique à plus d’un titre. Les recueils couvrent l’ensemble de la période d’activité de Jean-Baptiste-Pierre Le Brun. Après une formation de peintre, celui-ci travailla auprès de son père, Pierre Le Brun, marchand mercier parisien, à partir des années 1760 et prit définitivement la succession de l’affaire familiale à sa mort en 1771. Puis il poursuivit son activité de marchand en boutique et expert durant la période révolutionnaire et l’Empire, en orientant davantage son affaire vers les ventes aux enchères.

Cette collection n’est pas aussi complète que le dit la notice du catalogue de la vente Pichon. En effet, deux tomes manquent lors de l’acquisition par Doucet de celle-ci : les tomes III et XVII, mais il y a deux tomes XIX. La collection se compose de recueils factices regroupant des catalogues de vente, parfois manuscrits, le plus souvent imprimés, qui ont été annotés par Le Brun lui-même avec les noms des vendeurs, des acquéreurs et les prix réalisés, autant d’informations indispensables à qui veut retracer la provenance d’une œuvre.

La mention manuscrite en page de garde du premier recueil, signée par Le Brun, confirme le caractère authentique des annotations. Le marchand a également réalisé un index général au début de chaque volume qui reprend la date de la vente aux enchères et le nom du collectionneur correspondant. D’autres annotations sont plus récentes, sans doute du XIXe siècle, et signées « B.J.P. », initiales que l’on peut associer aisément au baron Jérôme Pichon. Ce dernier a notamment complété l’index figurant en début du premier volume, les prix des adjudications et les noms de certains collectionneurs.


J.B.P Le Brun, Table alphabétique de la collection complette des catalogues de tableaux..., bibliothèque de l'INHA, VP Res 1 B. Cliché Claire Josserand

Des sources fondamentales pour l'histoire du marché de l'art

Quel usage avait Le Brun de ces recueils qu’il a lui-même réalisés ? Sans doute s’agissait-il pour lui de conserver une trace des ventes qu’il montait à Paris à l’hôtel Bullion, à l’hôtel des Américains ou, chez lui, rue de Cléry. Outre les catalogues de vente, les recueils contiennent aussi des documents manuscrits et imprimés qui portent à croire que le marchand les utilisait comme des archives ou des cahiers de comptes de son activité. « Feuille de distributions », « liste des catalogues que J.B.P. Le Brun a faits pour différentes ventes », tels sont les titres des documents que l’on trouve dans les recueils. Ils indiquent l’ordre dans lequel les lots sont vendus aux enchères ainsi que la liste des prix des lots adjugés et le résultat total de la vente.

La collection ne se limite pas au marché de l’art, car certains ouvrages que Le Brun a publiés sont également inclus dans ces recueils : Quelques idées sur la disposition, l’arrangement et la décoration du Muséum National […], rédigé par le citoyen Le Brun, devenu alors adjoint à la commission temporaire des Arts, qui décida la création au Louvre d’un nouveau musée, en est un exemple.

La fréquence des ventes qu’il a réalisées, tout comme la qualité de leur contenu – beaucoup des œuvres proposées par Le Brun aux enchères se trouvent aujourd’hui sur les cimaises des musées – sont la preuve de l’essor du marché de l’art et du développement de grandes collections en Europe et en France, sous la forme de galeries de tableaux ou de cabinets d’antiques au XVIIIe siècle. À l’instar de ses confrères Paillet, Remy ou Regnault, Le Brun a contribué à moderniser le marché de l’art en accordant une grande importance à l’authenticité des œuvres et à conférer à ce marché un caractère international. Nombre de ses catalogues étaient distribués non seulement à Paris mais encore à Londres, Bruxelles et Amsterdam .


Catalogue de tableaux des trois écoles, estampes en volumes & en feuilles, figures de bronze, vases en marbre, porcelaines, bronzes dorés, histoire naturelle & autres objets, formant le cabinet de M. le baron d’Holback..., A Paris, Chez M. le Brun, 1789, bibliothèque de l'INHA, VP Res 13 B/2. Cliché INHA

Le marchand a su également proposer des collections étrangères. On peut citer celle du baron d’Holbach, savant et philosophe allemand, vendue le 6 avril 1789 à Paris. Homme cultivé, doublé d’un sens aigu des affaires, il s’était attiré les faveurs et la confiance des plus grands collectionneurs et amateurs d’art de son époque. Il avait, en effet, durant l’Ancien Régime, la fonction prestigieuse de « Garde des tableaux de Monseigneur le comte d’Artois & Monseigneur le duc d’Orléans ». Le Brun a organisé un véritable réseau social lui permettant de s’approvisionner en œuvres d’art. Il s’intéressait particulièrement aux tableaux hollandais et flamands. Souhaitant développer un goût pour cette école encore peu connue en France, il a publié des ouvrages enrichis d’illustrations gravées, par exemple la Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands. Par ce biais, il voulait clarifier les pratiques d’un marché parfois obscur où les répliques d’atelier étaient aisément présentées comme des œuvres de maître. Estimer au plus juste les œuvres et pratiquer avec honnêteté les attributions sont les conditions du succès des enchères. Cependant, Le Brun savait aussi être redoutable en affaires comme le laisse entendre son épouse, la portraitiste Élisabeth Vigée-Le Brun, dans ses mémoires et sa correspondance.


Jean-Baptiste-Pierre Le Brun, La Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands […], t. I, Paris, Poignant, Amsterdam, Pierre Fouquet junior, 1792-1796, bibliothèque de l'INHA, Fol F 212. Cliché INHA

Les travaux de Le Brun s’inscrivent dans le contexte du développement d’un véritable « marché » de l’art, au sens économique du terme, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Celui-ci se substitue à ce qui était jusqu’alors aux mains des antiquaires et des marchands merciers. Dès lors, on peut s’intéresser non seulement aux collections, mais aussi aux acteurs de ce marché, à la cote des artistes, à la circulation des objets d’art et au discours sur les œuvres grâce au témoignage qu’offrent les catalogues de vente. Le Brun a pris soin de rédiger des notices bibliographiques sur les peintres à la manière de Vasari et comme l’avait fait son prédécesseur Gersaint dans certains de ses catalogues. Faisant œuvre de théoricien, il a également proposé des discours préliminaires présentant les collectionneurs et ses réflexions destinées aux amateurs.

Tour à tour peintre, restaurateur de tableaux, marchand, conservateur au Museum Central, conseiller des plus grands amateurs et lui-même collectionneur, Jean-Baptiste-Pierre Le Brun était doté d’une personnalité complexe et ambitieuse. Les recueils conservés à la bibliothèque de l’INHA donnent un aperçu de l’étendue de ses activités et du réseau européen qu’il a su bâtir dans le commerce de l’art. Soucieux toujours de défendre l’art ancien et les productions de ses contemporains, il contribua à faire du siècle des Lumières un véritable âge d’or des ventes aux enchères.

En savoir plus

  • Les recueils Le Brun sont numérisés et disponibles sur la bibliothèque numérique de l'INHA ; les originaux se consultent à la bibliothèque sur rendez-vous, le mardi et le jeudi après-midi (« rendez-vous patrimoine ») ;
  • Ce fonds de catalogues de vente est complété par les papiers Vigée-Le Brun, Le Brun, Tripier Le Franc [cotes : Autographes, cartons 51, 52.1, 52.2 / microfilms MF B XXXIII à XXXVI], dont le dossier le plus riche, couvrant la période 1806-1813, comporte de nombreux documents de travail de Le Brun.
  • Jean-Baptiste-Pierre Le Brun, La Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands […], Paris, Poignant, Amsterdam, Pierre Fouquet junior, 1792-1796, 3 vol.

Références bibliographiques

Claire Josserand

Service du patrimoine (en 2010)

Publié par lflejou le 14 janvier 2016 à 10:30

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