Les prestations extérieures de conservation : la conservation des collections (4/5)

Livre sur le Caravage dont le dos est complètement déchiré

Le service de la Conservation et des magasins est impliqué dans chaque étape du circuit du document (consultation, rangement, réparation) et parfois avant même son arrivée sur site (entrée de fonds). Mais ce quatrième billet porte sur certains aspects de la mission de conservation qui nécessitent le recours à des prestataires extérieurs spécialisés, intervenant sur des tâches très variées.

Pourquoi des prestations extérieures ?

Certaines opérations de conservation sont très spécifiques et nécessitent des moyens humains et matériels d’une envergure supérieure aux possibilités dont dispose le service. Le recrutement et la formation de personnels, l’équipement et l’entretien de machines et d’outils et la mise à disposition de locaux de travail sont autant d’éléments qui s’avèrent généralement trop contraignants en regard de la mise en place de marchés publics ou du recours à des prestations extérieures. Les interventions de conservation préventive les plus récurrentes (et donc les plus nombreuses) sont externalisées car les équipes en poste aux ateliers ne peuvent pas traiter la quantité très importante des documents concernés.

Quarantaine, décontamination, dépoussiérage : le traitement curatif d’un fonds

Dans le billet précédent, nous avons vu que les entrées de fonds requièrent souvent des prestations extérieures, ne serait-ce que pour le transport, s’il n’est pas assuré en interne. En cas de suspicion (moisissure ou infestation de nuisibles), la première étape consiste à placer le fonds en quarantaine. Sur le site Richelieu, la bibliothèque de l’INHA partage l’usage d’un local de quarantaine avec la BnF.

Les infestations de nuisibles entraînent une prestation de décontamination adaptée. Il s’agit en général d’un traitement par anoxie, c’est-à-dire une privation d’oxygène sur une période de 15 à 21 jours qui cause la destruction des insectes et larves d’insectes présentes dans les collections contaminées. Cette technique nécessite d’être équipé d’une chambre d’anoxie : un espace étanche assez volumineux et doté d’un système de contrôle climatique, géré par du personnel spécialisé.

Les moisissures sont généralement traitées à l’oxyde d’éthylène, qui entraîne la destruction des micro-organismes en entravant leurs réactions métaboliques. L’opération se fait dans une chambre de traitement placée sous vide d’air pour favoriser la propagation du produit à l’intérieur des documents. Les fonds traités sont ensuite longuement ventilés (pendant 2 à 3 semaines) afin de permettre la dispersion totale du produit actif qui a été utilisé. Ce traitement n’altère aucunement l’état et la résistance des papiers, des cuirs, des encres, des pigments ou des couleurs des documents et de leurs reliures. Un marché est actuellement en cours de rédaction pour le traitement par anoxie et à l’oxyde d’éthylène.

Un ensemble d’acquisitions en local de quarantaine, en attente pour un traitement à l’oxyde d’éthylène. Photo INHA
Un ensemble d’acquisitions en local de quarantaine, en attente pour un traitement à l’oxyde d’éthylène. Photo INHA

Il existe d’autres méthodes de traitement, comme le bombardement des documents aux rayons gamma. Cette méthode est nettement moins répandue en France. Bien qu’elle n’ait encore jamais été utilisée par la bibliothèque de l’INHA, elle n’en est pas moins intéressante car elle se trouve être plus adaptée au traitement de supports photographiques (et audiovisuels) qui sont très nombreux dans les collections patrimoniales – collections proprement photographiques mais aussi fonds d’archives.

Le dépoussiérage intervient obligatoirement après ce type de traitements curatifs. Il permet de débarrasser les documents des larves et des insectes détruits par le traitement par anoxie ou des spores et micro-organismes rendus inertes par l’exposition à l’oxyde d’éthylène. L’opération consiste à brosser les différentes faces des documents fragiles ou précieux avec une brosse à poils très souples. Pour des documents en bon état, un aspirateur à variateur et à filtre absolu convient tout à fait et permet de réduire drastiquement la durée de l’opération.

Toutefois, le dépoussiérage se pratique également à titre préventif, et la bibliothèque a un marché de dépoussiérage de ses collections de documents en magasins. Ceux-ci sont prélevés successivement et chacune de leurs six faces sont aspirées (les deux plats, le dos, la gouttière et les tranches). Ce type de prestation se fait par ensembles déterminés, sur plusieurs centaines de mètres de rayonnages, et mobilise trois à quatre personnes pendant deux semaines chaque jour, toute la journée.

Le contrôle des espaces de conservation implique également la tenue de prestation de dératisation et de piégeage d’insectes. Sur le site Richelieu, cette prestation est assurée par la BnF qui coordonne les interventions de contrôle et de remplacement des pièges à rongeurs et à insectes dans les magasins des différentes institutions présentes sur site (INHA, BnF, Enc). Chaque mois, plusieurs centaines de pièges sont contrôlés et réalimentés en produit.

Des prestataires spécialisés pour la reliure

La bibliothèque a passé un marché de reliure pour procéder aux opérations de conservation préventive les plus récurrentes et les plus nombreuses sur les documents des collections courantes. Les trains de reliure sont répartis entre deux prestataires spécialisés, qui viennent récupérer sur place les documents sélectionnés par les moniteurs étudiants du service de la Conservation et des magasins. Les opérations sont effectuées dans les ateliers de prestataires, qui ramènent ensuite les documents à la bibliothèque où ils sont réintégrés dans les magasins. Le repérage des documents s’articule en huit lots d’envoi différents, auxquels correspondent huit types d’interventions bien spécifiques.

Un livre qui souffre, destiné au lot 8 de reliure extérieure pour la création d’une reliure renforcée du corps d’ouvrage. Photo INHA
Un livre qui souffre, destiné au lot 8 de reliure extérieure pour la création d’une reliure renforcée du corps d’ouvrage. Photo INHA

Le lot 1 concerne les ouvrages comportant une jaquette, qui est un élément du livre ayant tendance à glisser, à se plier ou à se déchirer facilement. Dans ce cas, une liseuse est confectionnée par le prestataire. Il s’agit d’un dispositif qui empêche le glissement de la jaquette en la rendant solidaire du livre, la protège et la renforce en la rigidifiant.

Le lot 2 concerne les ouvrages brochés récents, dont la couverture est recouverte d’un film plastifié auto-adhésif (on parle de « pelliculage »). Le prestataire procède également à la pose de charnières qui renforcent considérablement l’articulation des couvertures du document.

Le lot 3 concerne les ouvrages coupés-collés dont la colle d’édition est de mauvaise qualité. L’opération consiste à remboîter les feuillets du livre dans sa couverture. Elle est également pelliculée et ses plats peuvent être doublés à l’intérieur pour la rigidifier.

Le lot 4 concerne la reliure mécanisée des exemplaires des périodiques. Généralement reliés par année, leur couverture est rigide et recouverte de toile. La couverture d’origine est reportée sur le plat et pelliculée : on parle de « reliure parlante ». Le lot 5 est similaire au lot 4, à ceci près que la couverture d’origine n’est pas reportée sur le plat qui est seulement recouvert de toile. On parle dans ce cas de « reliure muette ».

Le lot 6 concerne la reliure mécanisée parlante des monographies et le lot 7 concerne la reliure mécanisée muette des monographies. Le lot 8 concerne la création d’une reliure traditionnelle renforcée du corps d’ouvrage, des coins et du dos pour les documents lourds.

Modèles des documents traités à l’extérieur. En haut, lots 1 à 4. En bas, lots 5 à 8. Ces livres servent de références aux moniteurs étudiants de l’atelier des petites réparations durant leurs premiers jours. Photo INHA
Modèles des documents traités à l’extérieur. En haut, lots 1 à 4. En bas, lots 5 à 8. Ces livres servent de références aux moniteurs étudiants de l’atelier des petites réparations durant leurs premiers jours. Photo INHA

Le marché de fournitures de conservation

La bibliothèque utilise une grande variété de conditionnements de conservation, en grande quantité (voir précédemment « La ronde des conditionnements »). La très grande majorité de ces conditionnements sont commandés auprès de prestataires extérieurs et constituent un marché qui se divise en quatre lots attribués à trois prestataires différents. Le premier lot concerne les papiers et produits façonnés, c’est-à-dire les pochettes, chemises et boîtes en carton destinées au conditionnement de livres, de brochures et à l’archivage des documents. Le deuxième lot concerne le matériel de conditionnement spécifique aux documents photographiques. Le troisième lot concerne les boîtes légères fabriquées sur mesure (à l’unité donc) pour le conditionnement des livres, et le quatrième lot concerne les boîtes d’archives sur mesure fabriquées en série.

Le matériel utilisé par les techniciens d’art de l’atelier de reliure et les moniteurs étudiants de l’atelier des petites réparations est aussi varié que spécifique. Il s’agit de lames et de poinçons, de pinceaux et de colles, de cires et de pigments, de papiers de toutes sortes et nombre d’autres outils et matériaux. Ils sont acquis auprès de prestataires spécialisés qui se distinguent par leur expertise et leur respect de la fabrication traditionnelle des fournitures. Ainsi certaines fournitures sont importées de grandes maisons japonaises qui n’ont pas d’égal du point de vue de la qualité de fabrication.

Alix Saunier

service de la Conservation et des magasins

Publié par Sophie DERROT le 8 octobre 2020 à 10:00

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