Tout (ou presque) sur la collection d’art du XVIIIe de Jacques Doucet avec les dessins d’Adrien Karbowsky

Adrien Karbowsky, Salon des pastels, coupe longitudinale, 1907. Paris, bibliothèque de l’INHA

Un projet de recherche, une édition numérique, une publication papier, une base de données, une exposition ? Le projet Karbowsky c’est tout cela à la fois et même davantage !

Adrien Karbowsky et la mise en scène de la collection d’art du XVIIIe siècle de Jacques Doucet

Les lecteurs fidèles de la bibliothèque de l’INHA le savent bien : l’espace de consultation des collections patrimoniales porte le nom de « Jacques Doucet » en hommage au fondateur de la bibliothèque d’art et d’archéologie, donnée à l’Université de Paris en 1917, à l’origine de l’actuelle bibliothèque de l’INHA.

Nombreux aussi sont ceux qui savent que Jacques Doucet a été un grand mécène et collectionneur. L’histoire de la première collection de Jacques Doucet, consacrée à l’art du XVIIIe siècle, est en revanche moins connue, si ce n’est grâce à la vente restée légendaire de juin 1912, au cours de laquelle cet ensemble fut dispersé.

La bibliothèque de l’INHA conserve des dessins qui laissent imaginer la manière dont cette collection fut présentée dans l’hôtel particulier édifié par l’architecte Louis Parent pour Jacques Doucet au 19 rue Spontini. Le collectionneur y vit de 1906 à 1913. Adrien Karbowsky, peintre décorateur, et son ami Georges Hoentschel, sculpteur et décorateur, sont chargés par Doucet du décor, de l’aménagement intérieur et de l’accrochage des œuvres rue Spontini. À l’été 1907, alors que les décors des plafonds et voussures sont peints, il est temps de finaliser l’installation. Karbowsky dessine donc vingt coupes et élévations des pièces de réception de l’hôtel de la rue Spontini, toutes situées au premier étage : le grand vestibule, la salle à manger, le salon des pastels, le « petit boudoir dit de Fragonard » et le grand salon, auxquelles s’ajoute une coupe de l’escalier d’honneur et une élévation du vestibule du rez-de-chaussée. Chacune des œuvres y apparaît à son emplacement futur.

Adrien Karbowsky, Salon des pastels, coupe longitudinale [élévation est], graphite, aquarelle, plume et encre brune, 44,2 x 56 cm, 1907. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, OA 719/9. Cliché INHA
Adrien Karbowsky, Salon des pastels, coupe longitudinale [élévation est], graphite, aquarelle, plume et encre brune, 44,2 x 56 cm, 1907. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, OA 719/9. Cliché INHA

L’exposition Doucet et Camondo : une passion pour le XVIIIe siècle

Une sélection de ces dessins est exposée au musée Nissim de Camondo jusqu’au 3 septembre 2023, et mise en relation avec des vues d’intérieur peintes ou photographiques du 19 rue Spontini mais aussi avec des œuvres de la collection de Jacques Doucet. Peintures, mobilier, objets d’art et même éléments de boiserie se matérialisent devant les yeux des visiteurs comme s’ils surgissaient des dessins d’Adrien Karbowsky. Le musée Nissim de Camondo s’imposait comme le lieu idéal pour exposer ces dessins en raison des similitudes qui unissent Doucet et Moïse de Camondo, qui légua sa demeure du 63 rue de Monceau à l’Union centrale des arts décoratifs. Chacun eut un goût prononcé pour le XVIIIe siècle (goût même exclusif dans le cas de Camondo) et la volonté de faire édifier un hôtel pour abriter une collection déjà presque entièrement constituée, avec une construction quasiment au même moment (1903-1906 pour Doucet, 1911-1913 pour Camondo). Mais surtout Moïse de Camondo a acquis six lots à la vente de la collection de Doucet en juin 1912, objets qu’on retrouve aujourd’hui dans le musée, intégrés à sa propre collection. Les pratiques de chaque collectionneur se font donc écho mais l’exposition met aussi en évidence ce qui les distingue.

 Vue de l’exposition Doucet et Camondo : une passion pour le XVIIIe siècle, mars 2023. Cliché Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
Vue de l’exposition Doucet et Camondo : une passion pour le XVIIIe siècle, mars 2023. Cliché Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

À l’origine de l’exposition : une édition numérique de sources enrichies

Dans l’exposition, une borne tactile offre aux visiteurs la possibilité de manipuler une vue en trois dimensions du premier étage de l’hôtel de la rue Spontini. Les dessins de Karbowsky ont été positionnés sur le plan de l’hôtel. On comprend ainsi parfaitement la succession et l’agencement des pièces, ce dont les seules élévations rendent difficilement compte. Cette borne révèle aux visiteurs l’origine de cette exposition, née d’un projet de recherche développé par le département des Études et de la recherche de l’INHA et son service numérique de la recherche. En 2019, l’INHA a créé une plateforme d’édition numérique de sources enrichies ou d’exposition des données numériques (PENSE), afin de publier des sources numérisées et de les mettre à la disposition d’une large communauté de chercheurs. Initiée avec la transcription et l’annotation des papiers d’Antoine-Louis Barye, PENSE s’est poursuivie avec un projet qui avait pour ambition de tester l’annotation d’images. Les dessins d’Adrien Karbowsky, déjà en ligne sur la bibliothèque numérique de l’INHA, permettaient d’identifier les œuvres de la collection de Jacques Doucet sur chaque dessin, de les mettre en relation avec leur notice dans le catalogue de la vente de 1912, les photographies des pièces du premier étage de la rue Spontini datant de l’hiver 1911-1912, au moment de la préparation de la vente, mais aussi avec les notices de la base de données « Catalogue des œuvres des collections de Jacques Doucet », enrichies pour l’occasion des éléments concernant l’historique de ces œuvres. Grâce à la segmentation, en découpant des parties des dessins numérisés d’Adrien Karbowsky, et l’annotation, qui a consisté à établir une corrélation entre les notices d’œuvres de la base de données du « Catalogue des œuvres des collections de Jacques Doucet » et la représentation de ces œuvres dans les dessins de Karbowsky, les aquarelles se transforment à leur tour en base de données. Les lieux de conservation, les techniques, les acquéreurs mais aussi la localisation des œuvres rue Spontini sont désormais autant de portes d’entrées pour explorer la collection.

 Navigation et segmentation dans karbowsky.inha.fr : exemple des dessins dans le salon des pastels
Navigation et segmentation dans karbowsky.inha.fr : exemple des dessins dans le salon des pastels

Régulièrement reproduits, ces dessins étaient bien connus de ceux qui s’intéressent à la collection de Jacques Doucet mais le travail de Karbowsky pour Doucet n’avait jusqu’alors été que peu étudié. Les sources sont malheureusement rares pour documenter le chantier d’aménagement intérieur de la rue Spontini et la relation entre Doucet et Karbowsky, mais l’étude matérielle des dessins et l’établissement d’une chronologie fine des acquisitions de Doucet ont permis de mieux comprendre le statut de ces élévations, véritables documents de travail, et de les dater de l’été 1907. Le résultat de ces recherches est publié en ligne sur OpenEdition, dans un article consacré à Adrien Karbowsky décorateur de l’hôtel particulier de Jacques Doucet.

Des données à partager

Comment rendre ce projet de recherche accessible à un public plus large que celui des chercheurs ? Avant même de penser à exposer les œuvres, l’équipe du projet a souhaité éditorialiser les données, c’est-à-dire les introduire et les mettre en récit, en intégrant des éléments de contexte pour mieux les appréhender. Les dessins sont rassemblés par décors, c’est-à-dire par pièce de l’hôtel (salon des pastels, grand salon, etc.) avec une navigation très intuitive qui situe les dessins sur le plan mais fait aussi le lien entre dessins au net, dessins préparatoires et photographies d’un même espace. On trouvera aussi sur le site un diaporama qui évoque la collection de Jacques Doucet et la rue Spontini en quelques minutes ainsi que des brefs textes d’introduction pour chaque section.

Tandis que les visiteurs sont invités à explorer l’hôtel de la rue Spontini et à découvrir ce décor disparu avec la vente de la collection en 1912 puis la destruction du bâtiment en 1959, les chercheurs peuvent exploiter librement l’ensemble des jeux de données de cette édition numérique, que l’INHA met à disposition comme l’ensemble de ses projets de recherche. Projet toujours en évolution, l’édition numérique Karbowsky continue à s’enrichir et à s’adapter aux besoins de ses utilisateurs.

  Juliette Trey

département des Études et de la recherche

Aller plus loin

Juliette Trey, Jacques Doucet et Moïse de Camondo. Une passion pour le XVIIIe siècle, album 04, coédition Les Arts Décoratifs-INHA, 2023.

Juliette Trey, Adrien Karbowsky décorateur de l’hôtel particulier de Jacques Doucet (1906-1907), 2022.

Jean-Christophe Carius et Juliette Trey, « L’édition Karbowsky : une édition historique et numérique d’un lieu de collections disparu », dans Numérique et recherche en histoire de l’art. Un carnet de recherche de l’Institut national d’histoire de l’art, 28 juillet 2022.

Marie-Anne Sarda, « Rue Spontini (partie 1) », dans Bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet. Un carnet de recherche de l’Institut national d’histoire de l’art, 30 juillet 2021.

Chantal Georgel (dir.), Jacques Doucet collectionneur et mécène, Paris, coédition Les Arts décoratifs-INHA, 2016.

Camille Goichon, Adrien Karbowsky (1855-1945), peintre décorateur, mémoire de DEA, université Paris-Sorbonne, 2003.

Publié par Amandine NGUYEN le 10 mai 2023 à 09:35

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