Apprenez à dessiner avec la Méthode Cavé

Jean-Auguste Dominique Ingres, Madame Edmond Cavé (Marie-Élisabeth Blavot), huile sur toile, vers 1831–1834, Metropolitan Museum of Art, 43.85.3. Cliché Wikimedia

La bibliothèque de l’INHA a entrepris la numérisation d’un corpus de documents consacrés à l’enseignement du dessin au travers des époques. L’un d’entre eux, Le Dessin sans maître, a été rédigé par Marie-Élisabeth Cavé (1810?-1882) dans un contexte particulièrement intéressant où le dessin devient une discipline scolaire reconnue et généralisée à tous les élèves en France. Son apprentissage s’est, en effet, institutionnalisé au cours de la première moitié du XIXe siècle car l’industrialisation du pays a nécessité la formation à de nouveaux métiers et de nouvelles techniques pour lesquels le dessin s’avère indispensable.

Marie-Élisabeth Blavot naît vers 1810, elle épouse en 1831 le peintre Clément Boulanger (1805-1842). Peintre et aquarelliste, elle fut l’élève de Camille Roqueplan (1802-1855) et expose au Salon à partir de 1835. Veuve en 1842, elle se remarie l’année suivante avec François-Edmond Cavé (1794-1852), alors directeur de la division des Beaux-Arts au ministère de l’Intérieur. Parallèlement à sa carrière de peintre, Madame Cavé exerce comme professeur dans un pensionnat de demoiselles où elle développe et applique une méthode personnelle d’enseignement du dessin. Elle la transcrit dans une publication, Le Dessin sans maître, qui paraît en 1850, date à laquelle elle ouvre son propre cours 110 avenue des Champs-Elysées comme l’indique une annonce du journal Le Constitutionnel du 19 décembre 1850. Succès éditorial, le manuel fera l’objet de plusieurs rééditions, notamment en 1852, version qui vient d’être mise en ligne.

 Marie-Élisabeth Cavé, Le Dessin sans maître (page de titre), 1852, Bibliothèque de l'INHA, 8 L 9. Cliché INHA
Marie-Élisabeth Cavé, Le Dessin sans maître (page de titre), 1852, Bibliothèque de l'INHA, 8 L 9. Cliché INHA

L’ouvrage se compose d’une suite de lettres que Madame Cavé destine à une amie prénommée Julie afin qu’elle forme ses deux filles, Marie et Élise, à la pratique du dessin. Sa pédagogie repose sur trois opérations successives à réaliser dans la même journée : calquer le modèle sur une gaze tendue sur un cadre en bois, puis dessiner à vue d’œil et se corriger à l’aide de la gaze (ou calque vérificateur), et enfin dessiner le modèle de mémoire sans l'aide du calque.

Cavé préconise à ses lectrices de souscrire à L’Histoire des peintres de toutes les écoles de Charles Blanc (1813-1882) car les illustrations gravées pouvaient servir de modèles bidimensionnels. Après une phase initiale pendant laquelle l’élève n’utilise que des estampes comme modèles, il peut passer au dessin d’après nature (leçon dixième). Cavé conseille de se placer de sorte que le milieu du modèle soit à hauteur du regard puis de décalquer en se bandant un œil à l’aide d’un mouchoir.

Pour élaborer sa technique d’apprentissage, Madame Cavé s’inspire d’exemples puisés chez ses prédécesseurs comme Leon Battista Alberti (1404-1472), Léonard de Vinci (1452-1519), Albrecht Dürer (1471-1528) ou Sebastiano Serlio (1475-1554?) mais également chez ses contemporains comme Horace Lecoq de Boisbaudran (1802-1897) ou Amaranthe Roulliet (1810-1888). Mais l’originalité de sa méthode, outre sa forme épistolaire qui en fait semble-t-il l’unique exemple de ce type concernant l’enseignement du dessin, repose sur le fait de combiner usage du calque et dessin de mémoire ; conseil formulé en son temps par de Vinci (avec un calque sur verre) mais depuis largement oublié.

 

 « Voici la première méthode de dessin qui enseigne quelque chose ». Dès parution, la « Méthode Cavé » obtient l’approbation d’Eugène Delacroix (1798-1863), chose que ne manque pas de rappeler l’éditeur en reproduisant en préambule l’article publié en 1850 par La Revue des Deux Mondes dans lequel Delacroix donne un compte rendu enthousiaste de l'ouvrage. Avant d’envoyer son texte sous presse, Marie-Élisabeth Cavé n’hésita pas à prendre avis auprès de Delacroix, son ami depuis leur rencontre en 1833 lors du bal costumé chez Alexandre Dumas (1802-1870). Delacroix écrit dans son Journal à la date du 16 mars 1850 : « Mme Cavé venue et m’a lu quelques chapitres de son ouvrage sur le dessin. C’est charmant d’invention et de simplicité ». Notes et brouillons que Delacroix rédigea en vue de son article sont également consultables sur la bibliothèque numérique.

 Eugène Delacroix, Journal de 1850 ; 1852 ; 1854, encre sur papier, 1850, Bibliothèque de l'INHA, MS 253 (2). Cliché INHA
Eugène Delacroix, Journal de 1850 ; 1852 ; 1854, encre sur papier, 1850, Bibliothèque de l'INHA, MS 253 (2). Cliché INHA

La méthode Cavé sera testée auprès de tous les élèves des écoles secondaires mais, par un propos adressé à Julie, Marie et Élise, Madame Cavé affiche son objectif prioritaire : l’éducation artistique des jeunes filles alors trop peu développée (l’École des beaux-arts, par exemple, ne les accepte pas encore). Ainsi le dessin peut devenir la qualification qui leur permettra d’obtenir des ressources en travaillant dans le domaine des arts décoratifs et d’échapper aux épreuves qu’elle a elle-même traversé en tant que veuve et mère.

Après le décès de son second époux, elle se consacre plus précisément à diverses œuvres sociales et fonde la « Corporation des abeilles ». Cette association, décrite dans Le Petit journal du 29 octobre 1866, a pour vocation la vente d’œuvres d’art et d’artisanat réalisées exclusivement par des femmes.

Il serait abusif, cependant, de voir chez Marie-Élisabeth Cavé une attitude annonçant les prémices du mouvement féministe. Si elle encourage la solidarité et l’entraide féminines, elle le fait sans bouleverser les conventions sociales n’hésitant pas à distinguer un art masculin d’un d’art féminin (lettre septième). Sa position est plus pragmatique que radicale, elle la résume dans la suite au Dessin sans maître intitulée La Couleur : « [...] il ne faudrait pas abuser de ce mot modestie comme on abuse du mot égalité. On a une tendance, dans un certain monde, à vouloir que la femme ne soit rien autre chose qu’une poupée qui plaise à son mari, et qui représente une maman pour ses enfants. Je ne l’entends pas ainsi. Je lui veux un rôle plus utile, plus digne d’elle, plus respectable ».

 

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Élodie Desserle
Service de l'informatique documentaire

 

Publié par Elodie DESSERLE le 15 avril 2020 à 11:00

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