Patrimoine en guerre

Beauzée-sur-Aire : intérieur de l'église, dans Auguste Marguillier, La destruction des monuments sur le front occidental : réponse aux plaidoyers allemands, 1919, bibliothèque de l'INHA, 8 Y 707, Pl. 28. Cliché INHA

À l'occasion des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et pour faire écho à l'exposition 1914-1918, le patrimoine s’en va-t-en guerre organisée à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine (jusqu'au 4 juillet 2016), la bibliothèque numérique vous propose de feuilleter l'ouvrage d'Auguste Marguillier (1862-1945) La destruction des monuments sur le front occidental : réponse aux plaidoyers allemands.
Paru en 1919, aux lendemains du conflit, l'ouvrage brosse un « tableau du vandalisme allemand ». Son auteur s'inscrit dans un vaste mouvement de mobilisation des artistes et intellectuels qui dénoncent au travers de leur publications, photographies, caricatures, expositions, les destructions et pillages commis par l'ennemi, exaltant le patrimoine architectural et artistique meurtri.

Dans cette publication, Marguillier revient sur plusieurs destructions emblématiques comme celle de la bibliothèque de l'Université de Louvain (25-26 août 1914) ou celle de la cathédrale Notre-Dame de Reims (19 septembre 1914).
Un chapitre entier est dédié au bombardement de Reims que l'auteur qualifie d'emblée de « plus odieux attentat commis par l'Allemagne contre l'art et contre notre passé historique ». Il décrit dans le menu détail les méfaits causés à la cathédrale par les tirs d'obus : embrasement de la charpente, anéantissement des toitures, portails ravagés, statues démolies... Ciblant la cathédrale du sacre des rois de France, ce bombardement revêt une haute valeur symbolique. Reims est rapidement considérée comme « la grande martyre » de la nation française et la statue du portail nord de la façade occidentale de la cathédrale, l’Ange saint Nicaise, désormais appelé Ange au Sourire, devient le symbole des exactions commises par l’Allemagne, une sorte d'icône patrimoniale, d'emblème identitaire.

 
Reims : tête de l'Ange de saint Nicaise avant la guerre et aujourd'hui, dans Auguste Marguillier, La destruction des monuments sur le front occidental : réponse aux plaidoyers allemands, 1919, bibliothèque de l'INHA, 8 Y 707, Pl. 14. Cliché INHA

Marguillier dénonce le vandalisme et l’agression faite à la France dont les « monuments respectés au cours des guerres par des siècles qui ne se targuaient pas de suprême "culture" et auxquels l'Allemagne du XXème siècle, si orgueilleuse de sa science, s'est bassement attaquée ». Avec la virulence propre à la propagande anti-germanique de l'époque, il véhicule le mythe de l’Allemand destructeur des cathédrales et des trésors du passé. Il joint à son propos des photographies destinées à marquer les esprits, n'hésitant pas à utiliser le procédé du avant/après. L'ouvrage est illustré de clichés pris notamment par la Section photographique de l’armée, qui, chargée de fournir des documents photographiques sur la guerre et notamment sur les dévastations artistiques, est née, avant tout, pour livrer à l’ennemi un combat sur le terrain de la propagande par l’image.

Cet exemple reflète comment le patrimoine artistique et architectural détruit lors de la Première Guerre mondiale a été instrumentalisé, la France et l'Allemagne jouant sur la fibre culturelle et identitaire. Sacralisés, les monuments détruits se muent en objets de propagande. La cause patrimoniale comme une arme de guerre idéologique attise le discours de haine envers l'ennemi pour orienter les opinions, servir le discours patriotique et l’effort national voire susciter une indignation mondiale.

Mais, au-delà de son contexte historique, cet ouvrage nous interroge plus largement sur l’enjeu que représente le patrimoine lors de tous les conflits. Il fait tristement écho aux destructions spectaculaires de trésors historiques des civilisations qui se sont multipliées au cours des dernières décennies notamment au Moyen-Orient ou dans les Balkans. Élément de l'histoire et de l'identité, le patrimoine reste plus que jamais un enjeu de guerre.

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 Élodie Desserle
Service de l'informatique documentaire

Publié par Elodie DESSERLE le 12 mai 2016 à 10:15

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