Collection(s) George Viau

​​​​​Édouard Vuillard, Le docteur Georges Viau dans son cabinet dentaire en 1914, peinture à la colle et rehauts de pastel sur toile, Musée d'Orsay, Paris ©photo musée d'Orsay / rmn

Trois albums de photographies viennent de rejoindre les rayons virtuels de la bibliothèque numérique. Ils nous donnent à voir, avec plus d'une centaine de représentations d'œuvres d'art, un aperçu de ce que put être la collection de George Viau (1855-1939).
Peu connu du grand public, ce nom est plus familier aux chercheurs et passionnés d'art qui l'ont, sans nul doute, croisé au détour d'un cartel ou d'une notice d'œuvre dans un grand musée ou lors d'une exposition.

Amateur éclairé, George Viau, chirurgien-dentiste de profession, savait repérer les talents, y compris émergents, et sa collection se composait essentiellement de pièces d'artistes de son époque devenus majeurs comme Cézanne, Degas, Gauguin, Monet, Pissarro, Renoir, Sisley, Toulouse-Lautrec ou Vuillard. Nombre d'entre elles ont aujourd'hui rejoint les plus belles collections privées et publiques : Art Institute of Chicago, Courtauld Institut (Londres), musée de l'Ermitage (Moscou), Musée d'Orsay (Paris), musée du Louvre (Paris), National Gallery of Art (Washington), Ordrupgaard museum, collection Wilhelm et Henny Hansen (Copenhague), Phillips Collection (Washington), etc. De son vivant déjà, il n'était pas rare que de grandes institutions du monde entier sollicitent George Viau pour des emprunts lors d'expositions de peinture française ; ceci explique d'ailleurs que plusieurs lots du catalogue de la vente posthume de 1942 portent la mention : « Ce tableau actuellement aux États-Unis n'est pas mis en vente ». Deux Delacroix, Chevaux sortant de l'abreuvoir et Nu assis (Mlle Rose), un Renoir, Jeune fille lisant, un Pissarro, Nature morte, un Degas, La femme en gris, un Corot, Olevano, la ville et les rochers, ce ne sont pas moins de six toiles qui sont prêtées pour l'Exposition universelle de New-York de 1939, preuve de « l'intérêt extraordinaire de cette collection, qui donne sur un peu plus de soixante ans, le plus éclatant panorama de l'Art français qui se puisse imaginer » comme le souligne Pierre Imbourg (Beaux-arts, 20 novembre 1942).

Eugène Druet, [Collection Georges Viau, recueil de planches. Tome 2 : Corot, Olevano, la ville et les rochers], photographie, avant 1925. Paris, bibliothèque de l'INHA, PL F 23. Cliché INHA
Eugène Druet, [Collection Georges Viau, recueil de planches. Tome 2 : Corot, Olevano, la ville et les rochers], photographie, avant 1925. Paris, bibliothèque de l'INHA, PL F 23. Cliché INHA

Féru d'art, George Viau commence sa collection à la fin du XIXe siècle. Aux côtés de ses amis collectionneurs le comte Armand Doria et les Rouart, il fréquente assidûment les galeries d'art et l'Hôtel Drouot. Il entretient également d'étroites relations avec de nombreux peintres auprès desquels il achète directement. Il participe aux ventes d'ateliers comme celles de Sisley en 1899, Carrière en 1920 ou Degas en 1918 et 1919 où il se porte acquéreur de nombreux tableaux, pastels et dessins dont La Femme en gris cité plus haut (information corroborée par l'annotation manuscrite présente sur le catalogue). Il lui arrive également de passer commande aux artistes, notamment à Georges d'Espagnat et Maurice Denis qui réalisèrent des toiles décoratives pour sa maison sur les hauteurs de Villennes-sur-Seine ou ses appartements parisiens, boulevard Haussmann puis boulevard Malesherbes.
Doté d'une grande perspicacité dans ses choix et la formation de sa collection, George Viau sera, dès la première heure, un fervent de l'impressionnisme et en 1894 sa collection compte déjà parmi les plus importantes de tableaux pré-impressionnistes et impressionnistes. Malgré cela, il n'hésite pas à remanier quasi totalement sa collection à plusieurs reprises. Cependant, s'il vend c'est avec l'objectif de racheter, motivé par l'envie de faire éclore de nouveaux talents sans velléité de spéculation ni de profit personnel. Certains jugent même opportun de considérer qu'il n'eut pas une collection mais des collections successives tant il posséda et se sépara d'œuvres au cours de sa vie. Christian Theuveny, qui pendant 3 ans inventoria la collection de son arrière-grand-père, dénombre plus de deux mille œuvres d'art qui firent partie de la collection Viau, sans compter que notre homme avait également constitué d'importants ensembles de sculptures, livres et objets d'Extrême-Orient.


Les premières ventes de la collection Viau ont lieu à la galerie Durand-Ruel, en 1907, les 4, 21 et 22 mars. Elles suscitent d'emblée l'émerveillement et l'enthousiasme des acquéreurs. Le Drame de Daumier est vendu pour 28 100 francs, Jeune fille au corsage rouge de Morisot pour 14 000 francs, l'esquisse de La Justice de Trajan de Delacroix pour 7 250 francs... Les 89 lots de la seule vente du 4 atteignent près de 520 000 francs d'après les résultats parus dans le Mercure de France du 15 mars 1907.
George Viau débute ensuite une collection d'estampes et de lithographies (Carrière, Cassatt, Toulouse-Lautrec, Vallotton, Whistler...), elles font à leur tour l'objet d'une vente à Drouot en décembre 1909. Une nouvelle vente publique de tableaux et dessins se tient à Drouot en mai 1930 et Viau procède également à des échanges avec d'autres collectionneurs comme Sidney W. Brown et son épouse Jenny Sulzer. Il fait aussi des dons à de grandes institutions comme par exemple un portrait de Delacroix gravé par Prunaire au Petit Palais, un autoportrait de Cals ou un pastel de danseuse espagnole de Degas tous deux donnés au Louvre et actuellement conservés au Musée d'Orsay.

Eugène Druet, [Collection Georges Viau, recueil de planches. Tome 1 : Pissarro, La cueillette], photographie, avant 1925. Paris, bibliothèque de l'INHA, PL F 23. Cliché INHA
Eugène Druet, [Collection Georges Viau, recueil de planches. Tome 1 : Pissarro, La cueillette], photographie, avant 1925. Paris, bibliothèque de l'INHA, PL F 23. Cliché INHA

George Viau décède en 1939 et les pièces de sa collection sont dispersées lors de quatre ventes en décembre 1942, février 1943, juin 1948 et février 1949. « Tous ceux qui comme nous, jugent les choses d'un œil impartial et tout à fait désintéressé, déploreront, sans doute, qu'un tel ensemble, qui représente à lui seul plus que beaucoup de galeries publiques ne pourront jamais réunir, soit bientôt irrémédiablement dispersé au feu des enchères » commente Pierre Imbourg. Dans son article du 20 décembre 1942, il décrit l'« atmosphère de passion et de curiosité » de la première vente posthume. Un service d'ordre dû canaliser la foule des visiteurs car « on s'était battu dans la rue pour entrer » et dès l'ouverture des portes « la salle se trouva pleine à craquer [...] les journalistes n'eurent même pas le temps de parvenir à leurs places réservées ; il y avait des curieux sur les étagères, d'autres accrochés aux portes, partout... ». Il faut dire que l'événement a fait l'objet d'une véritable publicité avec de multiples annonces dans la presse et l'édition de plus de 5 000 catalogues (dont 3 500 illustrés) envoyés aux amateurs et marchands. Pour Emmanuelle Polack, historienne de l'art spécialiste du marché de l'art sous l'Occupation, la vente Viau est « emblématique de l'effervescence qui a saisi l'Hôtel Drouot durant ces années », climat d'ébullition, montants records et représentants des musées allemands assis au premier rang des salles. Ainsi, le lot n83, Portrait de l'ami de l'artiste de Daumier est acheté par l'expert André Schoeller pour le compte du tristement célèbre Hildebrand Gurlitt. Son prix de 1 320 000 francs le place parmi la douzaine de tableaux qui dépassèrent le million, une somme d'autant plus élevée que le Musée d'Orsay, où ce tableau est conservé, le considère aujourd'hui comme une copie d'après Daumier. L'original se trouve à la National Gallery of Scotland à Edimbourg. Les deux, l'original et la copie, ont appartenu à la collection Viau comme le révèlent les mentions de provenance des n9115 et n7192 du Daumier Register (catalogue raisonné de l'artiste) qui émet l'hypothèse que George Viau a réalisé des copies de quelques-unes des peintures de Daumier. Pour le moment, le mystère demeure entier et nous attendons avec encore plus d'impatience la biographie que prépare Claude Petit-Castelli (annoncée par Christian Theuveny en introduction de son ouvrage) afin d'en apprendre davantage sur la personnalité de ce grand collectionneur et mécène qui fit tant pour les artistes et le rayonnement de la peinture de son temps.


Élodie Desserle
service de l'Informatique documentaire


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Publié par Elodie DESSERLE le 14 octobre 2020 à 10:00

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