À la rencontre de la femme des originesPlongée dans la préhistoire avec Claudine Cohen

Couverture du livre la Femme des origines, Claudine Cohen

Les femmes préhistoriques ? À brûle-pourpoint, le thème de ce beau livre arborant la Vénus de Kostienski en couverture laisse songeur. C'est donc intrigué que l'on se lance dans cette promenade passionnante qui mêle histoire de l'art, paléontologie, archéologie et ethnologie, avec comme défi de donner à voir ce qui précisément était jusqu'alors réputé comme un sujet invisible, voire inexistant : la femme préhistorique.

En effet, si la Préhistoire fascine depuis le XIXe siècle, la femme est bien souvent absente des images qui nous viennent à l'esprit. De la chasse au mammouth à la domestication du feu, l'épique reste dans notre imaginaire réservé aux hommes préhistoriques, dont les femmes auraient patiemment attendu le retour au fond de leur caverne, en se consacrant à leur nombreuse progéniture.

C'est à ce type d'idées reçues que s'attaque dans ce livre Claudine Cohen, philosophe et historienne des sciences, enseignante-chercheuse à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Elle est la première en France à proposer un travail de cet ampleur sur le sujet. Des Vénus préhistoriques aux scénarios d'hominisation féministes en passant par Darwin et la chasse, elle explore de nombreuses thématiques dont elle déconstruit systématiquement les représentations. L'exercice est peu aisé, puisqu'il s'agit de faire des hypothèses à partir de quelques vestiges archéologiques et de l'observation ethnologique des tribus de chasseurs-cueilleurs modernes.


Un drame à l'âge de pierre, Paul Jamin, 1886, huile sur toile, Paris, collection particulière.

La force de ce livre est d'éclairer notre époque à la lumière des fantasmes qui portent sur la Préhistoire. Nos représentations ont en effet été forgées par le regard des chercheurs du XIXe siècle qui ont les premiers travaillé sur la période. Ceux-ci, vivant dans une société patriarcale, en ont déduit sans aucun indice archéologique que les sociétés préhistoriques l'étaient également.

La déconstruction de ces stéréotypes passe d'abord par la destruction de l'image de l'homme chasseur, avec la découverte par l'archéologue Lewis Binford en 1961 que l'homme était sans doute un charognard jusqu'à environ 50 000 ans avant notre ère. Ainsi peut-on supputer que tout un chacun participait à la collecte de nourriture, hommes, femmes et enfants, puisqu'il ne s'agissait pas de tuer les proies mais simplement de les dépouiller.

À la même période, les chercheurs Lee et DeVore (ceux-là mêmes qui, quelques années plus tôt, avaient théorisé le modèle de l'homme-chasseur, « Man the Hunter »)  rapportent de leurs observations des sociétés de chasseurs-cueilleurs modernes le constat que la viande n'y représente qu'un tiers des ressources alimentaires, les deux autres tiers étant fournis par l'activité de collecte des femmes. Ces révolutions dans la manière de concevoir la place de l'homme dans l'économie du groupe ont ouvert la voie aux mouvements de paléontologie féministe des années 1970, qui ont proposé une nouvelle vision de la femme préhistorique, forte et indépendante, principale pourvoyeuse de nourriture au sein du groupe. En 1975, l’anthropologiste Sally Slocum propose ainsi  le modèle de la femme collectrice, « Woman the Gatherer », qui constitue le pendant parfait de celui de l'homme chasseur.


Rapt à l'âge de pierre, Paul Jamin, 1888, huile sur toile, Musée des beaux-arts de Reims. Source : Wikimedia Commons. Domaine public.

À partir de là, il devient possible de formuler un certain nombre d'hypothèses, qui se trouvent renforcées graduellement par l'avancée des découvertes sur cette période encore peu documentée qu'est la Préhistoire. Des reconstitutions récentes ont ainsi montré que rien n'excluait que les outils en pierre n'aient été taillés par des femmes, cet exercice nécessitant de l'habileté et de la précision, et non une force particulière. Par ailleurs, une étude attentive des mains positives et négatives de l'art pariétal dans différentes grottes, dont celle de Gua Masri II, a fait émerger une toute nouvelle hypothèse : une partie d'entre elles appartiendraient à des femmes. Ces observations ont été réalisées grâce à un logiciel utilisant l'indice de Manning, qui permettrait de déterminer avec un assez haut degré de probabilité le sexe de la personne auquel appartient une main, grâce au rapport entre la taille de l'index et celle de l'annulaire. À l'encontre des théories qui ont nié pendant longtemps à la femme la capacité de produire, puisqu'elle pouvait se reproduire, on voit ainsi se dessiner l'image d'une femme artiste depuis la Préhistoire.


Cueva de las Manos, (la grotte des mains) Río Pinturas, province de Santa Cruz en Argentine, 2010. Marianosecowsky/Wikimedia.org. CC-BY.

La lecture de cet ouvrage de Claudine Cohen peut donc constituer une véritable petite révolution copernicienne pour nos esprits, qui voient remis en cause un certain nombre de préjugés sur un thème qui, non seulement a été peu traité, mais a même rarement été considéré comme un véritable sujet par la communauté scientifique.

Références bibliographiques

Béatrice Guillier

Service du patrimoine

Publié par bguillie le 8 mars 2016 à 10:44

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