Portraits de Berthe Morisot« fixer quelque chose de ce qui passe »

Portrait de Berthe Morizot et sa fille. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MORISOT 3. Cliché INHA

Reconnue comme une des artistes les plus novatrices du groupe des impressionnistes, Berthe Morisot (1841-1895) fait l’objet d’une rétrospective au musée d’Orsay du 18 juin au 22 septembre 2019. L’exposition, qui met l’accent sur le portrait et la figure dans sa peinture, est l’occasion de faire connaître les multiples formes de la présence de l’artiste dans les collections de la bibliothèque de l’INHA : autoportrait, portraits d’amis, regards de critiques.

Sous le regard de Jacques Doucet

Au Salon d’Automne de 1907, le visiteur peut déjà admirer une rétrospective consacrée à l’œuvre de Berthe Morisot. C’est peut-être lors de cette exposition que Jacques Doucet, mécène et fondateur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, voit pour la première fois les estampes de l’artiste.

Lorsqu’il acquiert en 1908 les 8 pointes-sèches de Berthe Morisot, cette part de l’œuvre est encore peu connue. Cet achat appartient à une première série d’acquisitions chez le marchand d’estampes Alfred Strölin. À partir de 1906, Jacques Doucet développe en effet une collection d’estampes du XIXe et du début du XXe siècle, qui prend un essor encore plus important avec le recrutement de Noël Clément-Janin (1862-1947) en septembre 1911.


Facture pour l’achat des estampes de Berthe Morisot par Jacques Doucet, 17 février 1908. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, Archives de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, Cabinet des estampes modernes, carton 3, dossier Strölin

Berthe Morisot appartient à une constellation d’artistes présents dans la collection personnelle de Jacques Doucet, ainsi que dans les collections qu’il commence à constituer pour la future Bibliothèque d’art et d’archéologie : Manet, Degas, Pissarro, Mary Cassatt, Renoir, etc. Outre les estampes, toujours présentes dans les collections de la bibliothèque, Jacques Doucet a possédé deux autres œuvres de Berthe Morisot : une aquarelle, Femmes et enfants au bord de la mer, acquise à la vente Henri Rouart en 1912, et une huile sur toile, Paule Gobillard en robe de bal (1887), acquise après la mort du marchand d’art japonais Tadamasa Hayashi (1853-1906) auquel l’œuvre appartenait.

Un art féminin ?

Comme l’ont déjà souligné plusieurs billets (sur Alice Bailly, sur Mary Cassatt et bientôt sur Berta Züricher), les femmes sont bien représentées dans les collections d’estampes constituées par Jacques Doucet, avant comme après le recrutement de Noël Clément-Janin en 1911 et ces acquisitions sont poursuivies encore actuellement.

L’exposition du musée d’Orsay a précisément pour ambition de déjouer les clichés d’une artiste « féminine ». C’est en effet avant tout sous cet angle que l’œuvre de Berthe Morisot est présentée, par ses proches (Stéphane Mallarmé en 1896 ou Paul Valéry en 1926) ou par la critique.

En 1907 toujours, Roger Marx fait paraître dans la Gazette des Beaux-Arts un long article intitulé « Les femmes peintres et l’impressionnisme : Berthe Morisot ». C’est également sous cet angle « féminin » que le critique Louis Vauxcelles regroupe une documentation à son sujet au sein des dossiers consacrés dans ses archives aux femmes artistes. Cette approche est rejetée par une partie des premières intéressées. L’article de Roger Marx suscite, en effet, une réaction de Mary Cassatt. Elle a bien connu Berthe Morisot et se réjouit de l’hommage qui lui est rendu, mais ne rejoint pas complètement le critique. Si elle considère que « les femmes n’ont jamais dans les arts plastiques tenu le premier rang, ou même le deuxième », elle refuse de participer à des expositions spécifiquement féminines, exigeant que « dans les arts au moins, homme et femme soient sur un pied d’égalité, au moins quant à se présenter devant le public ».

L’œuvre gravé de Berthe Morisot

Jamais exposées de son vivant, 9 estampes de Berthe Morisot sont connues à ce jour. L’artiste travaille à la gravure sur une période assez brève (1887-1890) et pratique presque exclusivement la pointe-sèche. Cette technique permet de graver la plaque dans un geste proche de celui du dessin. Les tirages faits du vivant de l’artiste son mal connus et peu diffusés. C’est le retirage exécuté vers 1904-1905 à l’initiative d’Ernest Rouart qui fait connaître son travail (les 8 pointes-sèches conservées à la bibliothèque de l’INHA appartiennent à ce tirage).

Berthe Morisot (1841-1895), Le Lac du bois de Boulogne, pointe-sèche, 1889, (Bailly-Herzberg, n° 1). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MORISOT 4. Cliché INHA
Berthe Morisot (1841-1895), Le Lac du bois de Boulogne, pointe-sèche, 1889, (Bailly-Herzberg, n° 1). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MORISOT 4. Cliché INHA

Une demande de Stéphane Mallarmé est à l’origine des premiers essais de gravure de Berthe Morisot en 1887. Elle s’oriente d’abord vers la reproduction lithographique en couleurs de dessins aux trois crayons afin d’illustrer un recueil de poésies en projet. Le recueil ne paraîtra cependant pas sous la forme envisagée, qui associait des illustrations d’Auguste Renoir, Mary Cassatt, Edgar Degas, Claude Monet et John Lewis Braun. En 1888, Berthe Morisot se met à la pointe-sèche avec des sujets très proches de ses peintures, aquarelles ou pastels : bords d’étang, figures féminines, portraits.

Berthe Morisot (1841-1895), Jeune femme au repos, pointe-sèche, 1889 (Bailly-Herzberg, n° 7). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MORISOT 6. Cliché INHA
Berthe Morisot (1841-1895), Jeune femme au repos, pointe-sèche, 1889 (Bailly-Herzberg, n° 7). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MORISOT 6. Cliché INHA

Portraits croisés

Dans la collection d’estampes de la bibliothèque, les portraits de Berthe Morisot par d’autres artistes sont presque aussi nombreux que ses estampes. Sujet de nombreuses peintures de Manet, Berthe Morisot est également présente dans l’œuvre gravé du peintre : la bibliothèque conserve les trois variations autour de Berthe Morisot au bouquet de violettes peint en 1872 (deux lithographies et une eau-forte). Comme souvent dans la collection constituée par Jacques Doucet, il ne s’agit pas seulement de rassembler les meilleures épreuves. La comparaison des trois variantes rend sensible le travail d’exploration et de création Manet, qui, comme Berthe Morisot, a peu pratiqué la gravure et dont les estampes ont peu circulé avant sa mort.

Édouard Manet (1832-1883), Berthe Morisot, lithographie, 1872 (Guérin, n° 78). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MANET 19a. Cliché INHA
Édouard Manet (1832-1883), Berthe Morisot, lithographie, 1872 (Guérin, n° 78). Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, EM MANET 19a. Cliché INHA

À l’opposé, Marcellin Desboutin (1823-1902) a fait de la gravure sa principale activité. Il trace le portrait de Berthe Morisot vers 1876, alors qu’il représente d’autres membres du même cercle amical : Degas, Manet, Puvis de Chavanne, Renoir, etc. Assise, de face, Berthe Morisot regarde droit vers le spectateur.

C’est une toute autre image que donne Auguste Renoir en 1892, proche des autoportraits que Berthe Morisot compose seule ou avec sa fille à la même époque. La bibliothèque conserve deux épreuves de ce portrait de profil. En retour, Berthe Morisot s’inspire de la peinture de Renoir (Julie Manet ou l’enfant au chat, peint en 1887) pour le portrait de sa fille, ou plus exactement du pastel qu’elle a réalisé d’après ce tableau.

Les œuvres et documents conservés dans les collections de la bibliothèque de l’INHA rendent sensibles les échanges entre Berthe Morisot et les artistes de son temps, les échos entre peinture, dessin et gravure. Ils traduisent également la perception de son œuvre de son vivant et après sa mort grâce aux archives de critiques, catalogues de vente et catalogues d’exposition, qui continuent d’enrichir les collections.

Caroline Fieschi
Service du Patrimoine

En savoir plus

Les estampes de Berthe Morisot conservées à la Bibliothèque de l’INHA sont consultables sur rendez-vous dans l’espace Jacques Doucet (écrire à rdvpatrimoine @ inha.fr).

Les estampes d’Édouard Manet, Auguste Renoir, Mary Cassatt et Marcellin Desboutin ont été numérisées. Elles sont consultables dans la bibliothèque numérique.

Des dossiers de livrets d’exposition, coupures de presse, notes rassemblés sur Berthe Morisot sont consultables dans des fonds d’archives de critiques d’art :

  • Fonds Roger Marx, Archives 16/9/2/5 : Berthe Morisot
  • Fonds Louis Vauxcelles, Archives 80/ 151/dossier « Berthe Morisot »

Ces archives et les lettres de Mary Cassatt à Roger Marx (Autographes 112, 59) sont consultables dans l’espace Doucet.

Références bibliographiques

Roger Marx, « Les Femmes peintres et l’impressionnisme : Berthe Morisot », Gazette des Beaux-Arts, décembre 1907, p. 491-508 [INHA : PER N2 GBAR ]

Jeannine Bailly-Hertzberg, « Les estampes de Berthe Morisot », Gazette des Beaux-Arts, mai-juin 1979, p. 215-227 [INHA : PER N2 GBAR]

Berthe Morisot, 1841-1895 [exposition, Lille, Palais des beaux-arts, 10 mars-9 juin 2002, Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 20 juin-19 novembre 2002], Paris : Réunion des musées nationaux, 2002, p. 428-439 [INHA : NY MORI17.A3 2002]

Sylvie Patry (éd.), Berthe Morisot : femme impressionniste, New York, NY Philadelphia, PA Québec Dallas, TX : Rizzoli Electa : The Barnes Foundation : Musée national des beaux-arts du Québec : DMA, Dallas Museum of Art, cop. 2018 [INHA : NY MORI17.A3 2018]

Publié par Sophie DERROT le 18 juin 2019 à 18:32

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